POURQUOI LES BÂTIMENTS COMMERCIAUX ?
Le secteur des bâtiments commerciaux du Canada est un important consommateur d’énergie et générateur d’émissions de carbone. Il est responsable de 14 % de la consommation finale d’énergie et 13 % des émissions de carbone du pays. Il existe des technologies efficaces sur le plan énergétique qui pourraient réduire les coûts pour les entreprises et les consommateurs tout en réduisant les répercussions sur l’environnement de cet important secteur économique. Mais ces technologies ne sont pas adoptées et, du coup, la consommation d’énergie et les émissions de carbone continuent d’augmenter.
Les responsables de politique climatique doivent envisager, non seulement les cibles de réduction nationale à long terme des gaz à effet de serre (GES), mais aussi des politiques et des mesures précises par secteur pour obtenir les importantes réductions des émissions déjà fixées par le gouvernement du Canada. Pour réussir à réduire les émissions de GES et contribuer à lutter contre les changements climatiques, le Canada doit renoncer aux politiques nationales – son approche actuelle – et trouver des solutions passant par des politiques sectorielles détaillées. Puisque chaque secteur de l’économie canadienne contribue sa propre part unique d’émissions nationales, l’adoption d’une telle approche permettra de cerner les enjeux, les caractéristiques et les obstacles à aborder pour mettre en œuvre des plans de politique climatique durables et efficaces.
C’est la première fois qu’une telle approche sectorielle est entreprise. La Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie (TRNEE) et Technologies du développement durable Canada (TDDC) ont collaboré afin de tracer un chemin de politique viable en matière d’émissions de carbone et d’efficacité énergétique qui pourra servir aux décisionnaires du gouvernement fédéral dans le secteur des bâtiments commerciaux. On y traite des problèmes d’adoption des technologies d’efficacité énergétique, on vérifie la faisabilité de l’application d’ensembles de cibles de réduction des émissions spécifiques dans un secteur de l’économie canadienne et la façon dont ces objectifs peuvent être atteints, et on recommande des instruments stratégiques ciblés pour y arriver. Dans le présent rapport, on prépare le terrain pour le projet de recherche entrepris en collaboration par les deux organisations, projet qui combine le rôle de conseiller politique de la TRNEE et son pouvoir de convocation avec les connaissances du marché et l’expertise démontrée de TDDC en matière de « technologies propres ».
En 2006, la TRNEE a publié un rapport sur l’utilisation d’énergie à long terme au Canada, dans lequel elle affirme que des mesures d’amélioration de l’efficacité énergétique devraient être prises pour réduire les émissions de carbone du secteur commercial de 58 % par rapport au scénario projeté du statu quo en 2050, une cible de 53 mégatonnes (Mt) d’émissions de CO2 par année d’ici 2050a. En 2007, TDDC a publié un rapport d’analyse de rentabilisation sur les bâtiments commerciaux, présentant une vision de l’industrie pour le secteur consistant à réduire les émissions à 36 Mt éCO2 par année d’ici 2030b. Ces cibles doivent être atteintes dans un contexte où la population est à la hausse et où les bâtiments et les infrastructures énergétiques font l’objet de plus en plus de pressions. Statistique Canada estime que la population du Canada augmentera de 10 millions de personnes entre aujourd’hui et 2050, et on peut présumer que les Canadiens continueront de s’attendre à des ressources énergétiques efficaces, fiables et abordables.
Pour atteindre les cibles de réduction des émissions de carbone et de la consommation d’énergie des bâtiments commerciaux, à mesure que la population et l’économie croissent, les futures collectivités mettront davantage l’accent sur l’obtention de systèmes qui sont efficaces dans leur ensemble et sur la conception de systèmes plus adaptables et résilients. L’efficacité énergétique sera maximalisée et l’on utilisera des systèmes énergétiques urbains de plus petite envergure situés à proximité et à l’intérieur des bâtiments. Des développements regroupés, à forte densité, autonomes et à utilisation mixte permettront d’arriver à une utilisation plus efficace, accessible et abordable de l’énergie. Le rendement des bâtiments sera élevé et la qualité de l’air et les lieux de travail seront de meilleure qualité.
QU’AVONS NOUS CONSTATÉ ?
Nous avons trouvé un secteur fragmenté et divers, innovateur et en pleine croissance, avec des technologies d’efficacité énergétique qui peuvent contribuer aux efforts consentis afin de réduire les émissions, mais qui est confronté à des obstacles intégrés à l’adoption de la technologie. La croissance de l’économie et de la population continuera d’accroître la demande en énergie des bâtiments commerciaux existants et des nouveaux bâtiments au Canada. À mesure que l’économie devient davantage axée sur le service et fondée sur le savoir, les travailleurs passent des installations industrielles à des bâtiments à bureaux, ce qui ajoute au défi de réaliser de profondes réductions réelles des émissions du secteur commercial.
Entre 1990 et 2005, la consommation d’énergie a augmenté de 25 % et les émissions de carbone ont augmenté de 27 % dans le secteur. Entre 1990 et 2003, l’intensité énergétique a augmenté de 1,69 gigajoules par mètre carré (GJ/m2) à 1,84 GJ/m2 mais, en 2005, elle avait diminué à 1,62 GJ/m2, ce qui révèle une amélioration au cours des dernières années. Parmi les principaux facteurs qui ont une incidence sur l’utilisation d’énergie et les émissions connexes, il y a la croissance de la population et de l’économie, les températures extrêmes et le prix de l’énergie. Le chauffage des locaux est l’utilisation principale d’énergie du secteur. Toutefois, la consommation d’électricité d’équipement auxiliaire est à la hausse.
Le secteur des bâtiments commerciaux du Canada est complexe et comprend divers types de bâtiments, allant des bureaux aux hôpitaux en passant par les écoles. Les groupes d’intervenants sont tout aussi diversifiés, allant des investisseurs, constructeurs, ingénieurs et architectes aux agents immobiliers, locataires et d’exploitants de bâtiments. Tous les paliers gouvernementaux sont représentés dans un partenariat complexe pour traiter de questions sur le design urbain. Le gouvernement fédéral est souvent en cause dans l’élaboration de politiques, tandis que les gouvernements provinciaux et territoriaux et les administrations municipales ont tendance à mettre en place et à exécuter les instruments de politique. Le fait que les éducateurs ont un effet marqué sur la manière dont les spécialistes mettent en place les instruments de politique ajoute d’autant plus à la complexité de ce secteur.
Au vu de la chaîne d’approvisionnement et du cadre réglementaire fragmenté qui en résultent, il est manifeste qu’une seule politique de réduction des émissions de carbone ne suffit pas; il faut un ensemble composé de politiques formé de nombreux programmes et instruments.
L’efficacité énergétique dans les bâtiments commerciaux est la responsabilité de tous les ordres de gouvernement au Canada. Ce cadre de régie intergouvernemental fait qu’il est difficile pour les développeurs et les propriétaires de se tenir au courant des politiques pertinentes et des ressources disponibles concernant l’efficacité énergétique. Les autres obstacles à l’adoption de technologie identifiés dans le rapport vont de la gestion des risques, des lacunes dans l’information, des complexités de la chaîne de valeur des bâtiments commerciaux et des coûts financiers inévitables quand on est le premier à bouger sur le marché, jusqu’au prix de l’énergie qui est fixé sans tenir compte des coûts externes pour l’environnement, en passant par les obstacles institutionnels et réglementaires associés aux cadres stratégiques actuels.
QUELLES SONT NOS CONCLUSIONS ?
Notre recherche nationale et internationale, la consultation directe des intervenants et une modélisation économique originale ont permis de conclure qu’en intégrant un signal de prix du carbone à l’échelle du marché et en imposant des normes de rendement élevé pour tous les bâtiments commerciaux neufs ou existants au Canada, il sera possible d’atteindre la cible de 53 Mt éCO2 par année d’ici 2050, soit 66 % en dessous des niveaux du statu quo fixés par la TRNEE en 2006. La vision de l’industrie, consistant en une réduction de 36 Mt éCO2 par année d’ici 2030, soit 50 % de réduction par rapport aux niveaux de 2007 déterminés par TDDC en 2007, nécessitera un règlement strict et un engagement important de la part de l’industrie, mais il n’est pas impossible à atteindre.
Selon l’examen de quatre différents scénarios de politique que nous avons menés, aucune mesure unique ne peut suffire à elle seule pour obtenir les réductions des émissions nécessaires dans ce secteur et atteindre nos objectifs. Parmi les possibilités, il y a un prix fixé pour le carbone, un règlement, des subventions, des mesures volontaires et des programmes d’information. Le plus efficace est la combinaison des deux premiers – prix du carbone et un règlement de plus en plus rigoureux – mais avec l’application de subventions et d’encouragements technologiques ciblés.
L’efficacité énergétique a un rôle important à jouer dans la réduction de la consommation d’énergie, ce qui signifie une réduction de la charge sur les infrastructures existantes des services d’électricité et la diminution des émissions de carbone. Les politiques qui visent une utilisation accrue de l’énergie renouvelable, la cogénération et la production d’énergie sur place seront aussi importantes pour parvenir à des réductions maximales des émissions des bâtiments commerciaux. Un leadership solide du gouvernement, un engagement multilatéral et un cadre de responsabilisation axé sur le rendement lié au suivi et à l’évaluation seront les facteurs d’une mise en œuvre réussie. Le gouvernement du Canada devra se montrer assertif face à la question de l’efficacité énergétique dans les bâtiments commerciaux, collaborer avec les provinces, les territoires et les municipalités et consacrer des ressources à l’élaboration d’une stratégie plus intégrée pour obtenir des réductions réelles des émissions de ce secteur. Mais c’est possible d’y arriver.
QU’AVONS-NOUS APPRIS ?
Il n’existe pas de politique miraculeuse pour réaliser des réductions réelles et majeures des émissions de l’efficacité énergétique du secteur commercial. La réussite des politiques d’efficacité énergétique ailleurs dans le monde est le fruit de la maximalisation de l’impact synergétique d’ensembles de politiques et non au moyen d’une seule politique. Les politiques de réglementation contraignantes sont efficaces dans le secteur commercial, mais elles doivent aller de pair avec des programmes d’information et des signaux de prix. Chaque fois que des subventions sont mises en œuvre, il faut tenir compte dans la conception de programme des problèmes liés aux bénéficiaires sans contrepartie et à l’effet ricochet.
Une approche de la politique énergétique, fondée sur le cloisonnement, dans laquelle les bâtiments sont envisagés séparément de la forme urbaine, de l’infrastructure du transport et des collectivités où ils opèrent ne permettra pas de maximaliser les solutions énergétiques à long terme. De la même manière, les politiques sur le prix de l’énergie qui ne tiennent compte que des coûts pour l’environnement des formes d’énergie à grande intensité carbonique manqueront les coûts vastes pour la société, à long terme. Pour réaliser des réductions réelles des émissions, la portée des politiques examinées dans le présent rapport doit être élargie afin d’inclure l’énergie renouvelable, la cogénération d’énergie et l’équipement de production d’énergie sur place lorsque possible. De nouvelles pratiques d’élaboration des politiques au niveau communautaire et pour le prix de l’énergie s’imposeront si l’on veut arriver à de profondes réductions réelles des émissions dans les bâtiments commerciaux, à moindres coûts pour la société.
Les instruments de politique peuvent avoir des niveaux de priorité différents entre les régions et les sous-secteurs du secteur des bâtiments commerciaux. Étant donné que les sources de production d’électricité varient partout à travers le pays, certaines provinces et certains territoires pourraient être plus ou moins motivés pour améliorer l’efficacité de leur utilisation d’électricité dans une optique de réduction des émissions de GES. De plus, puisque les institutions publiques ont souvent des facteurs de motivation différents de ceux pour les bâtiments de propriété privée, certaines politiques peuvent être plus efficaces dans certains sous-secteurs. Une analyse plus détaillée de la conception des programmes permettra de déterminer à quel niveau se situent ces différences et comment les traiter.
Le suivi et l’évaluation des politiques sur l’efficacité énergétique doit être amélioré au Canada. Il peut permettre de s’assurer que les politiques demeurent dynamiques et d’actualité pour favoriser un rendement maximum, et pertinentes compte tenu des caractéristiques du marché actuel. Les évaluations après la mise en œuvre de la politique énergétique n’ont pas été uniformes au Canada. Il est nécessaire d’avoir une collecte de données plus transparente et de meilleure qualité pour fournir une base de référence aux fins de comparaison et pour mettre au point les procédures de suivi et d’évaluation des répercussions des politiques. Une rigueur accrue dans le suivi et l’évaluation des politiques est nécessaire pour faire valoir les avantages non énergétiques de politiques, comme que les réductions des émissions de GES et la qualité de l’air intérieur.
Des certitudes quant aux politiques sont nécessaires pour que l’industrie investisse davantage dans l’efficacité énergétique. Dans la rénovation de bâtiments existants, en particulier, il faut d’importants investissements pour mettre à jour les technologies inefficaces et améliorer l’intensité énergétique du bâtiment. Des certitudes quant aux politiques concernant les règlements imminents ou l’application d’un signal de prix du carbone s’imposent si l’on veut que l’industrie ait le temps d’investir et de réduire le risque de non-conformité. Sans ces certitudes, il est clair qu’il y a moins de raisons pour l’industrie d’investir.
Il faut une meilleure intégration entre les ministères et les ordres de gouvernement au Canada afin de tirer parti des ressources et d’accroître la symétrie entre les provinces et les territoires. Des processus rationalisés faciliteraient le commerce intérieur et la fabrication dans ce secteur. L’échange d’information entre les limites allégerait pour les gouvernements les coûts associés à la recherche de pratiques exemplaires et à l’élaboration de nouveaux programmes pour les praticiens. Le gouvernement fédéral a un rôle à jouer dans l’apport d’information intégrée à l’industrie pour simplifier les normes et les processus en matière d’efficacité énergétique. La collaboration entre la TRNEE et TDDC dans le cadre de ce projet est un bon exemple d’utilisation optimale des ressources et de mise en commun de l’information, et elle pourrait servir de modèle pour d’autres ministères et organismes gouvernementaux.
QUELLES SONT NOS RECOMMANDATIONS ?
La recherche effectuée pour examiner l’efficacité des instruments de politique sur le plan de la réduction de l’utilisation d’énergie et des émissions de carbone tout en réduisant au minimum les coûts économiques nous amène à recommander un ensemble de politiques détaillées pour accroître l’efficacité énergétique dans le secteur des bâtiments commerciaux du Canada. Ces politiques incluent un éventail d’instruments de chacun des types de politiques suivants :
1. Appliquer un signal de prix à l’échelle du marché pour des réductions efficaces et rentables des émissions par le secteur, surtout de pair avec d’autres instruments de politique.
2. Adopter un règlement contraignant spécifique, y compris des codes, une norme de rendement minimal et un étiquetage énergétique obligatoire, ce qui s’avère, à notre avis, les instruments de politique les plus efficaces pour accroître l’efficacité énergétique des bâtiments commerciaux, ces mesures étant économiques et ayant un fort impact sur les réductions des émissions.
3. Cibler les subventions, le cas échéant, avec des incitatifs financiers et de capitaux, des fonds de technologie et le financement de programmes d’éducation et de perfectionnement des compétences. Toutes ces mesures peuvent être efficaces dans une certaine mesure, selon leur intention. Les subventions ne devraient pas porter sur une technologie spécifique afin de ne pas faire obstacle à l’innovation; elles devraient tenir compte des enjeux concernant les bénéficiaires sans contrepartie et l’effet ricochet et devraient faire l’objet d’un suivi et d’une évaluation, pour qu’il soit possible de les mettre à jour ou de les supprimer le cas échéant.
4. Utiliser les programmes d’information pour encourager les mesures volontaires peut être rentable et avoir des répercussions durables sur l’utilisation de l’énergie et les réductions des émissions. Cependant, les répercussions directes sont souvent très difficiles à quantifier. Cela devrait venir compléter d’autres instruments de politique mentionnés ci-dessus, plutôt qu’être fait isolément.
La TRNEE et TDDC recommandent conjointement leur recherche et leur rapport au gouvernement fédéral à titre de conseils dans le contexte de l’adoption et de la mise en œuvre d’un chemin de politiques pour l’efficacité énergétique dans le secteur des bâtiments commerciaux du Canada.
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