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Courant de changement – Chapitre trois : Gouvernance et gestion de l’eau au Canada

Chapitre trois

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Gouvernance et gestion de l’eau au Canada

La gouvernance et la gestion de l’eau sont d’importance capitale pour assurer l’utilisation durable de l’eau par les secteurs des ressources naturelles du Canada. La gouvernance de l’eau désigne les processus et les institutions par l’entremise desquels se prennent les décisions concernant l’eau. Cela comprend la gamme des processus politiques, organisationnels et administratifs qui sont utilisés pour prendre et appliquer des décisions de même que les moyens qui sont pris pour tenir les décideurs responsables. La gestion désigne l’activité opérationnelle, sur le terrain, de régulation de la ressource en eau et les conditions de son utilisation[27]. Au cours du dernier siècle, les modèles formels de gouvernance de l’eau en sont venus à privilégier une approche descendante consistant en la prise de toutes les décisions par les gouvernements. Il y a maintenant un mouvement vers l’adoption de modèles de gouvernance collaborative en vertu desquels les ordres de gouvernement, les individus, les entreprises et les organisations non gouvernementales se partagent le pouvoir et la responsabilité des décisions. Le présent chapitre décrit la gouvernance et la gestion des eaux dans l’optique de leur utilisation quantitative plutôt que qualitative et met largement l’accent sur l’attribution de l’eau et sur les rôles et responsabilités quant à l’octroi de permis ou de licences d’utilisation.

Partage des responsabilités de la gestion des eaux

La Loi constitutionnelle ne traite pas directement de la responsabilité des ressources en eau, bien qu’elle en confère principalement la compétence aux provinces, celles-ci exerçant un contrôle direct sur les ressources naturelles – dont l’eau – à l’intérieur de leurs frontières. Les provinces et territoires partagent la responsabilité de l’eau avec le gouvernement fédéral, qui garde compétence sur les pêches, la navigation, les questions transfrontalières, les terres fédérales et les affaires autochtones. Le gouvernement fédéral partage aussi avec les provinces et territoires les pouvoirs en d’autres matières relatives à l’eau telles que l’agriculture, la santé et la protection de l’environnement. Dans certains domaines de compétence fédérale tels que la gestion des pêches et la protection de l’habitat du poisson, le gouvernement fédéral a conclu avec certaines provinces des ententes délégant une partie de ses pouvoirs aux gouvernements provinciaux. Par la force des choses, cela s’est traduit par un cadre législatif et de gestion des eaux très complexe au pays, cadre qui se caractérise par un partage, voire un chevauchement, des pouvoirs.

L’on tient de plus en plus compte des droits relatifs à l’eau des peuples autochtones dans la gestion de l’eau au Canada. La Loi constitutionnelle a commencé à protéger les droits des peuples autochtones et les droits issus de traités en 1982. Cela interdit aux gouvernements d’enfreindre tout droit, y compris les droits relatifs à l’eau qui n’ont pas été abolis avant 1982. Toute activité susceptible de violer les droits des peuples autochtones doit faire l’objet de consultations avec les titulaires de droits ancestraux, ce qui comprend les processus de prise de décisions entourant la gestion de l’eau.

Dans de nombreuses régions du Canada, les Premières nations participent directement à la gouvernance de l’eau en travaillant avec les autres gouvernements et des partenaires ou en encourageant la collaboration avec ceux-ci dans le cadre de l’aménagement des bassins versants, de la planification de la protection des sources d’eau et d’initiatives de gestion de l’eau. Les Territoires du Nord-Ouest, par exemple, sont le théâtre d’une collaboration très fructueuse depuis 2006, année où les peuples autochtones ont formellement fait valoir la nécessité d’élaborer – processus auquel ils participent pleinement depuis – une stratégie d’intendance de l’eau – un processus auquel ils participent pleinement depuis. Le savoir des Premières nations et des peuples autochtones peut nous aider à comprendre la santé et les rouages du bassin versant, à concevoir des moyens de bien collaborer, à déterminer des valeurs, à établir des priorités et à collaborer avec succès à la mise en oeuvre de mesures et de solutions.

Compétence et responsabilités fédérales

Le gouvernement fédéral exerce son pouvoir constitutionnel sur l’eau avec un certain nombre d’instruments législatifs, réglementaires et stratégiques. Au moins 20 organismes fédéraux s’acquittent des responsabilités de gestion des eaux aux termes de 11 mesures législatives fédérales. Environnement Canada est le ministère fédéral responsable de l’eau. Ressources naturelles Canada, Pêches et Océans Canada et Affaires indiennes et du Nord Canada ont aussi des responsabilités fondamentales en la matière.

Lois fédérales touchant la gestion de l’eau douce

Les principales lois fédérales concernant l’eau douce sont :

  • Loi sur les ressources en eau du Canada
  • Loi sur les pêches
  • Loi du traité des eaux limitrophes internationales
  • Loi sur les ouvrages destinés à l’amélioration des cours d’eau internationaux
  • Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie
  • Loi sur la protection des eaux navigables
  • Loi sur les eaux des Territoires du Nord-Ouest
  • Loi sur les eaux du Nunavut et le Tribunal des droits de surface du Nunavut
  • Loi canadienne sur la protection de l’environnement
  • Loi canadienne sur l’évaluation environnementale
  • Loi sur les parcs nationaux du Canada

L’un des principaux documents fédéraux sur la gestion de l’eau est la Politique fédérale relative aux eaux, 1987. L’objectif global de cette politique est d’encourager l’utilisation rationnelle et équitable de l’eau douce au Canada dans le respect des besoins sociaux, économiques et environnementaux des générations actuelles et futures. La politique prévoit cinq stratégies pour atteindre cet objectif déclaré : la tarification des services d’eau; le rôle de direction en matière de sciences; la planification intégrée; la législation; et la sensibilisation du public.

L’une des choses que l’on continue à reprocher à la stratégie fédérale relative à l’eau est qu’en dépit du fait que le gouvernement fédéral a consacré des ressources substantielles au cours des 25 dernières années à la définir et à l’élaborer, peu de politiques ou de mesures concrètes ont été appliquées sur le terrain[28]. Plusieurs sont d’avis qu’il s’est peut-être fait peu de choses surtout à cause de la difficulté de coordonner le travail de tous ces organismes fédéraux et du manque de volonté politique. Il faut toutefois souligner certaines initiatives fructueuses, comme la récente Stratégie pancanadienne sur la gestion des effluents d’eaux usées municipales, qui a été élaborée sous l’égide du gouvernement fédéral par l’entremise du Conseil canadien des ministres de l’environnement (CCME).

Compétence et responsabilités provinciales

La gestion de l’eau est surtout de compétence provinciale au Canada. Au pays, trois cadres définissent les principes d’attribution de l’eau (figure 4) :

1. Il y a le principe du premier en date, premier en titre (First in Time, First in Right) en Colombie-Britannique, en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba. Cette approche se fonde sur le principe de l’appropriation antérieure, qui confère au titulaire de licence le droit exclusif d’utiliser l’eau dans le cadre d’un régime d’ancienneté basé sur l’âge du titulaire. Au Yukon, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut – où une autorité publique (divers offices des eaux dans les territoires) prend les décisions concernant l’eau – des priorités sont également établies en fonction du principe du premier en date, premier en titre.

2. Les principes des droits des riverains, qui sont issus de la common law, servent de fondement aux régimes de permis d’utilisation d’eau en vigueur en Ontario, au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse, à l’Île-du-Prince-Édouard et à Terre-Neuve-et-Labrador. En vertu de la common law, qui existait avant que les droits relatifs à l’eau n’aient été adoptés par voie législative, les personnes qui possèdent ou qui occupent des terres en bordure de lacs et cours d’eau ont le droit au débit naturel de l’eau, intacte en quantité ou en qualité, longeant ou traversant leur terrain. Les provinces ont la responsabilité d’administrer l’eau et de superviser son attribution et doivent exercer leur compétence législative sur l’eau de manière équitable pour tous.

3. Au Québec, l’octroi de permis d’utilisation d’eau obéit aux principes du droit civil. Le droit civil du Québec affirme que l’eau n’appartient à personne, étant plutôt d’usage collectif. La province a donc un rôle de protecteur de l’intérêt commun à jouer en la matière.

Tous les régimes provinciaux et territoriaux d’attribution d’eau comportent un système d’octroi de licence ou de permis d’utilisation d’eau tant de surface que souterraine, et ce, partout sauf en Colombie-Britannique, où rien n’est prescrit pour l’eau souterraine.

FIGURE 4

Figure 4 : Cadres et approches juridiques d'attribution de l'eau au Canada

Des droits de licence d’utilisation d’eau, variant au demeurant beaucoup, sont perçus dans chaque province et territoire. Il s’agit la plupart du temps de droits ponctuels à régler au moment de la demande, auxquels s’ajoutent parfois des frais annuels. Les droits sont fixes dans certaines provinces et variables ailleurs selon le volume de l’eau utilisée et le type d’usage : utilisation industrielle, production d’électricité, agriculture, etc. En règle générale, il s’agit de droits modestes allant de 20 $ à quelques milliers de dollars. Dans certains cas, comme en Ontario et en Saskatchewan, certaines activités bien précises, l’agriculture notamment, sont exemptes de tels droits. Les recettes des droits d’utilisation d’eau sont généralement versées au trésor de la province. L’Île-du-Prince-Édouard, une exception notable, utilise les recettes des permis de prélèvement d’eau pour éponger les coûts associés à l’administration et à la mise en oeuvre du programme gouvernemental de surveillance des eaux.

Tous les gouvernements disposent d’un cadre juridique qui leur permet d’exiger des titulaires de licence de déclarer la quantité réelle d’eau utilisée. Cette condition d’obtention d’une licence ou d’un permis ne semble pas répandue au pays. À vrai dire, les exigences de déclaration d’utilisation d’eau varient grandement d’une province et d’un territoire à l’autre, et ce, tant en ce qui a trait à l’obligation de faire rapport qu’à l’exactitude attendue des données communiquées. Ces exigences sont précisées en tant que telles dans les lois ou règlements afférents (en Ontario, au Québec, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Yukon) ou en tant que conditions dans les permis ou licences (dans le reste du Canada, sauf au Nouveau-Brunswick, où aucune déclaration n’est requise). L’Île-du-Prince-Édouard n’a d’exigences de déclaration que pour l’eau souterraine. L’exactitude exigée fluctue aussi grandement au Canada, ce qui fait en sorte qu’il est assez difficile d’interpréter et de comparer les données.

Dans les régions où l’eau est attribuée sur la base de l’appropriation antérieure, il s’est fait des progrès récemment dans la création d’un marché de l’eau, ou de droits transférables relatifs à l’eau. L’Alberta a intégré les transferts d’eau dans sa loi sur l’utilisation de l’eau et envisage maintenant la possibilité d’étendre ce système ailleurs dans la province. En Colombie- Britannique, la clause du « transfert d’installations accessoires », qui permet aux titulaires de licence de changer l’emplacement visé par leur droit d’utilisation d’eau, a été interprétée de façon à autoriser certains transferts d’eau. À l’heure actuelle, aucune autre province n’autorise un tel marché de l’eau, quoi que le Manitoba et la Saskatchewan envisagent la possibilité de le faire. Dans les territoires, les licences d’utilisation d’eau sont transférables moyennant l’approbation des offices des eaux qui les délivrent.

Ces dernières années, un certain nombre de gouvernements provinciaux ont consacré des ressources considérables afin d’élaborer des cadres stratégiques globaux de gestion de l’eau, dont : la Politique nationale de l’eau du Québec (2002); la stratégie « Water for Life » de l’Alberta (2003); la Loi sur l’eau saine de l’Ontario (2006), qui permet de protéger les sources d’eau; le programme « Living Water Smart » (2008) de la Colombie-Britannique; la « Water Stewardship Strategy » des Territoires du Nord-Ouest (2009); et la « Water Strategy » de la Nouvelle-Écosse (qui sera rendue publique en 2010). Ces tentatives de remaniement de la gestion existante de l’eau varient dans le détail, mais elles invitent toutes à la reconnaissance globale des principes suivants et à leur intégration aux processus décisionnels :

  • une gestion de l’eau centrée sur le bassin versant des modèles de partage des pouvoirs/de gouvernance collaborative permettant de mobiliser et de responsabiliser davantage les intervenants
  • une planification intégrée de la gestion de l’eau et de l’aménagement du territoire
  • une gestion intégrée de l’eau de surface et de l’eau souterraine
  • la prise en compte des besoins en eau du milieu ambiant dans les régimes d’attribution de l’eau

Il faut, pour passer de notions si vastes à des mesures très pointues, déployer quantité de ressources humaines et financières qui ne semblent pas faciles à obtenir. Dans la plupart des cas, les progrès ont été lents, car les gestionnaires et les intervenants de l’eau ont encore du mal à traduire ces stratégies bien intentionnées en action concrète.

Les besoins des écosystèmes, ou l’attribution d’eau à des fins environnementales, sont une pierre angulaire des régimes modernes de gestion des eaux à travers le monde. Au Canada, cette notion se fraie de plus en plus en plus un chemin dans les régimes provinciaux et territoriaux de gestion des eaux. Certaines provinces, comme la Colombie-Britannique, l’Alberta, le Manitoba, l’Ontario et le Québec, précisent les exigences relatives à l’attribution d’eau à des fins environnementales dans leurs régimes d’octroi de licences. Ces exigences ne s’appliquent parfois qu’à des zones ou à des bassins versants désignés. Dans la plupart des provinces, le régime d’attribution d’octroi de licence ne fait pas automatiquement état des impératifs écologiques, mais ces exigences doivent tout de même être satisfaites, avant la délivrance d’une nouvelle licence d’utilisation d’eau, en vertu des dispositions applicables d’autres lois relatives à l’environnement (par exemple les exigences d’évaluation environnementale). Les besoins des écosystèmes peuvent également être incorporés aux régimes de gestion des eaux au moyen de dispositions générales permettant à l’organisme de réglementation de prendre toute mesure jugée nécessaire pour protéger l’intérêt public.

L’attribution de l’eau au Canada se fait habituellement en marge de l’aménagement du territoire. Non seulement les organismes gouvernementaux participant aux deux processus ne sont-ils pas les mêmes la plupart du temps, mais l’échelle géographique à laquelle s’exercent leurs activités de gestion de l’eau et d’aménagement du territoire diffère également.

Gestion intergouvernementale de l’eau

Chaque province et territoire du Canada (à l’exception de l’Île-du-Prince-Édouard) partage des ressources d’eau douce avec d’autres provinces et territoires, voire avec les États-Unis. Dans certains cas, des ententes intergouvernementales au sujet des limites interprovinciales ou internationales ont été conclues au Canada.

Les limites provinciales chevauchent rarement les limites des bassins versants. Il s’ensuit que la plupart des grands plans d’eau et des centaines de cours d’eau enjambent des frontières au sein du Canada. Cela pourrait donner lieu à des contentieux sur les utilisations de l’eau et sur les instances auxquelles il appartient de décider de la façon d’attribuer l’eau. Le Master Agreement on Apportionment, que les provinces des Prairies et le gouvernement fédéral ont signé en 1969, est un exemple de bonne coordination de régimes multiprovinciaux de gestion des eaux. En vertu de cet accord, l’Alberta et la Saskatchewan ont chacune droit jusqu’à concurrence de la moitié du débit naturel de l’eau provenant de leur territoire et de la moitié du débit de l’eau y entrant. On laisse le restant s’écouler au Manitoba. La Commission des eaux des provinces des Prairies gère l’accord. Y siègent un représentant de chacune des provinces de l’Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba et deux représentants du gouvernement fédéral.

On constate après examen récent de la gouvernance des eaux transfrontalières internationales que si la répartition des ressources en eau transfrontalières entre les deux pays peut semer la discorde, il s’agit pour l’essentiel d’une source de coopération[29]. Cela est aussi vrai dans le contexte nord-américain. Le Canada et les États-Unis réussissent à bien gérer conjointement et depuis longtemps leurs ressources en eau transfrontalières sous les auspices du Traité des eaux limitrophes de 1909 et de la Commission mixte internationale (CMI), née du Traité. En imposant des limites à la liberté de chaque pays d’utiliser l’eau, le Traité permet de réguler les niveaux et les débits d’eau. Au fil du temps, la CMI est devenue une institution qui permet aux gouvernements des deux pays de gérer leurs eaux transfrontalières et de prendre des décisions conjointes en solide connaissance de cause scientifique.

L’existence de ces institutions et de ces mécanismes de gouvernance n’en écarte pas moins la possibilité que des conflits n’éclatent. De récents désaccords sur l’eau de surface montrent bien tout l’éventail des problèmes susceptibles de surgir, comme : le différend du lac Devils entre le Manitoba et le Dakota du Nord; la pollution transfrontalière de la rivière Flathead que provoquerait l’écoulement dans le Montana d’eaux polluées provenant d’une mine de charbon proposée en Colombie-Britannique; et les problèmes constants de pollution et de niveau d’eau des Grands Lacs[30].

La gestion des eaux transfrontalières est un défi encore plus grand lorsqu’il s’agit d’eau souterraine. Le partage d’un même aquifère par deux provinces ou plus (voire avec les États américains voisins) peut donner lieu à des litiges d’eau et à des difficultés de gouvernance. Le cas de l’aquifère d’Abbotsford-Sumas sur la côte Ouest est un exemple de la façon dont certains puits américains sont contaminés par du nitrate provenant du Canada. Les aquifères n’ont généralement pas les mêmes frontières que les bassins versants à la surface. Par conséquent, la gestion écosystémique, dont on se sert de plus en plus pour mieux venir à bout des problèmes locaux et régionaux, n’est peut-être pas le meilleur outil de gouvernance pour l’eau souterraine. Ces dernières années, un certain nombre de groupes de travail multipartites ont été créés par souci de coordination des stratégies de gestion des eaux souterraines[31]. Il n’existe toutefois pas encore au Canada d’instances formelles de gouvernance multilatérale ayant le pouvoir de prendre des décisions sur ces eaux.

Le Conseil canadien des ministres de l’environnement (CCME) intervient également dans la gouvernance de l’eau au Canada. En 2009, le CCME a adopté une vision pancanadienne pour l’eau intitulée Établissement d’orientations stratégiques pour l’eau. Il érige ainsi un cadre stratégique, tourné vers l’avenir, qui guidera les actions et les activités futures de ses membres dans le domaine de l’eau. De plus, le Conseil de la fédération, un organisme intergouvernemental regroupant tous les premiers ministres provinciaux et territoriaux, a convenu de créer le Conseil de gérance de l’eau en 2009 en se fondant pour ce faire sur le Western Water Stewardship Council, une structure existante. Au départ, le principal cheval de bataille du Conseil sera l’économie et la conservation des ressources en eau.

Rôle émergent des structures de gouvernance collaborative

On voit aux tendances récentes à l’échelle mondiale que les gouvernements s’affairent à décentraliser la gestion et la gouvernance de l’eau. Les nouvelles approches favorisent l’emploi de mécanismes stratégiques ouverts, adaptatifs et collaboratifs. Au Canada, plusieurs provinces essaient divers types de modèles de gouvernance collaborative et cherchent à mieux mobiliser les intervenants. Dans le cas des secteurs des ressources naturelles, ce virage exige de collaborer encore plus avec les intervenants.

Au sens large, la gouvernance collaborative de l’eau peut désigner la participation d’organisations gouvernementales et non gouvernementales à la prise de décisions sur la gestion des eaux. Il faut souvent pour ce faire déléguer la prise de décisions à des instances de gouvernance inférieures du bassin versant, de la municipalité ou de la région[32]. Ce concept, qui a gagné en popularité au cours des dernières années, est maintenant réputé essentiel à tout régime moderne de gouvernance de l’eau. Les structures de gouvernance collaborative sont souvent associées à la gestion des bassins versants, car ceux-ci permettent aux intervenants locaux et régionaux d’agir à une échelle pratique.

Au Canada, divers modèles de gouvernance collaborative ont été mis en place ou sont en voie de l’être, notamment : les nombreuses organisations de défense des bassins versants au Québec, les comités de protection des sources d’eau en Ontario, les comités consultatifs d’aménagement de l’eau en Alberta et le conseil du bassin hydrographique du fleuve Fraser en Colombie- Britannique. Les offices des eaux des Territoires du Nord-Ouest, du Nunavut et du Yukon pourraient aussi être considérés comme des structures de gouvernance collaborative.

En janvier 2010, la TRNEE a tenu un atelier* sur l’évolution du rôle des secteurs des ressources naturelles dans la gouvernance des eaux canadiennes. Cet atelier a permis de mieux comprendre les avantages et les défis des modèles de gouvernance de l’eau au Canada et de souligner le rôle important de plusieurs facteurs clés dans la réussite des modèles de gouvernance collaborative. Au nombre des facteurs notés figuraient : venir à bout des divergences de valeurs et d’opinions; définir clairement les rôles et responsabilités; créer des connaissances communes aux intervenants; assurer la reddition de comptes et la légitimité; régler les problèmes de capacité; et surmonter la complexité bureaucratique. Les modèles de gouvernance collaborative ne réussiront et ne seront jugés légitimes que s’ils respectent les conditions suivantes :

  • leur portée et les résultats souhaités sont clairs;
  • ils réunissent les bons intervenants et le bon responsable;
  • leurs participants acceptent d’y souscrire pleinement et s’investissent véritablement dans le processus;
  • les rôles des participants sont clairs;
  • les processus favorisent un sentiment d’appartenance et de responsabilité communes;
  • un dialogue continu s’installe.

La gouvernance collaborative de l’eau est un outil qui peut améliorer la gestion de l’eau au Canada, car elle permet de planifier à une échelle plus régionale ou locale, ce qui favorise la prise de décisions, selon le lieu, plus éclairées et facilite la mobilisation des intervenants régionaux.

Elle doit cependant obéir à tous les principes d’une bonne gouvernance, servir quand cela est de circonstance et réunir les bons acteurs. Toute tentative de mettre en oeuvre des modèles de gouvernance collaborative sans respecter ces conditions ne fera qu’élever les attentes, faire perdre un temps précieux et d’importantes ressources financières et ternir la crédibilité et la légitimité des organismes participants.

Défis, lacunes et possibilités clés

Au Canada, la gestion de l’eau est une affaire complexe et décousue qui manque de coordination. Les régimes d’attribution de l’eau y sont archaïques et n’ont pas évolué dans le sens d’une plus grande concertation. Dans plusieurs provinces, les droits relatifs à l’eau sont accordés suivant les principes de l’appropriation antérieure (premier en date, premier en titre). Bien qu’un certain nombre de provinces et de territoires aient fait des progrès ces dernières années dans le renouvellement de leurs régimes de gestion des eaux, il faut procéder à un examen systématique des régimes d’attribution de l’eau en vigueur au Canada. La plupart des régimes continuent à reposer sur un cadre réglementaire bien implanté peu tourné vers les incitatifs économiques et les instruments du marché. Un autre problème important consiste en l’absence de collecte de données fiables et précises sur l’utilisation de l’eau dans la plupart des provinces et de système global de gestion de l’information.

Il peut être très difficile de gérer l’eau, une activité délimitée par des frontières politiques, car bon nombre de ses aspects sont de nature transfrontalière. Les eaux de surface et souterraines ont des impacts en amont et en aval, au-delà des frontières politiques, ce qui souligne d’autant plus la nécessité d’une collaboration pluri-gouvernementale. La gestion intergouvernementale de l’eau relève d’un certain nombre d’accords s’appliquant à des étendues d’eau ou à des régions particulières du pays. Les variations importantes entre les régimes provinciaux de gestion des eaux font toutefois de la gestion intergouvernementale de l’eau un défi de taille. Au Canada, il n’y a ni d’orientation globale ni de principes généraux pour guider les divers gestionnaires de l’eau de manière à faciliter la collecte et l’échange de données comparables à travers le pays ou de conjuguer les intérêts de l’ensemble des utilisateurs d’eau.

L’émergence de modèles de gouvernance collaborative offre le potentiel d’améliorer le mode de gestion de l’eau au Canada et la souplesse requise pour composer avec les particularités régionales et locales. Les gouvernements devront toutefois faire preuve d’un solide leadership afin de créer les conditions nécessaires au succès de ces formules de collaboration. Ce que nous enseignent les modèles de gouvernance du Canada et d’ailleurs, c’est qu’il faut mettre en place des processus efficaces comprenant, en autres, la définition de résultats voulus clairs et réalisables, l’établissement de rôles et responsabilités clairs et le choix du bon responsable. À l’heure actuelle, le gouvernement fédéral joue dans la gestion de l’eau au Canada un rôle effacé, ambigu pour la plupart des acteurs de la gouvernance de l’eau et parfois contraire aux attentes des intervenants. Il faudra examiner le rôle de chacun des ordres de gouvernement afin qu’un modèle renouvelé et plus efficace de gouvernance de l’eau voit le jour au Canada.

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* Atelier coordonné en collaboration avec le Water Policy and Governance Group.